Friday, February 24, 2012

De l'état douteux du storytelling dans les CRPG

En jouant récemment à Amalur et Fable III, j'ai enfin réalisé ce qui me turlupine depuis un moment dans les CRPG : le genre se mord la queue. On a sans cesse affaire aux mêmes poncifs, à la même histoire mille fois ressassée, et si le gameplay varie d'un exemplaire à l'autre, on en revient toujours à la même chose : on sauve la princesse / le meilleur pote / le monde, on est un héros de la mort qui tue avec des capacités surhumaines et... bah et c'est tout. Au pire on rit (jaune) quand déboule MonRPGFavori154-28 où le héros / l'héroïne court vêtue reprend au niveau 1 en ayant oublié tout ce qu'il/elle a appris dans le jeu précédent et qui lui aurait permis de faire la peau aux mobs niveau 1 qui traînent dans la première zone.

Mais ce n'est pas ça non plus. Après tout, commencer au niveau 99 n'aurait pas grand intérêt, et s'il ne se passait rien d'héroïque, on s'en tamponnerait un poil le coquillard.

Le souci est bien plus vaste. Le genre n'ira pas plus loin tant que les histoires que l'on nous conte et reconte à longueur de temps ne seront pas ramenées à leur juste échelle : des instants éphémères, de belles histoires qui, au fil des éons, deviendront exactement ces dernières : des belles histoires, le genre que l'on raconte à ses enfants le soir, déformées, sans grand intérêt - et probablement pas historique.

Car quoi qu'on en dise c'est à cela que ces innombrables vies se résumeront : des noms oubliés, des actes déformés, des instants dénués d'intérêt historique.

Vous me direz, Fable et Amalur partagent ces défauts. Je ne vous contredirai pas, mais il me semble que tous deux pointent la lune ; il serait dommage de ne voir que le doigt. Que je m'explique donc.

* Fable III ne raconte pas l'histoire abracadabrante du playboy de ferme à la coiffure improbable et à l'épée surdimensionnée qui va sauver le monde face à un dieu maléfique ou un ancien soldat manchot de l'aile. Le héros a une histoire bien plus simple, presque banale. Il ne s'agit ici "que" d'un coup d'état. Le genre de trucs qui rentrera dans les livres d'histoire, avec son nom s'il a de la chance, puis disparaîtra progressivement, tout comme démontré plus haut. Je veux dire, tôt ou tard nos chers bouquins seront l'équivalent d'un Lascaux pour n'importe quelle civilisation un poil évoluée qui mettrait la main dessus. Le jeu n'en reste pas moins - nonobstant ses défauts et ses errements - épique à sa manière, amusant, impressionnant.

* Amalur d'un autre côté en revient à ce héros titanesque et tueur de dieux. Mais. Mais tout l'environnement nous crie que cette geste sera bientôt oubliée. La maison des ballades en est le flagrant exemple. Sigrell et ses comparses ne sont pas, plus, peut-être même n'ont-ils jamais été. Il ne reste que leur histoire, racontée en quelques vers, que les Faes s'échinent à répéter encore et encore, sous peine de voir leur histoire, leurs héros, s'étioler, s'amenuiser, et disparaître. Les lorestones (oui, désolé, je joue en VO, pardon aux familles tout ça) donnent encore de brefs aperçus de temps révolus, d'histoires qui jadis équivalaient celle que l'on vit ; réduites à peau de chagrin ; racontent également de futiles instants sans rime ni raison qui pour une raison quelconque ont survécu ; sans favoritisme, sans ambages. Les lorestones étaient là, sont là et seront là. Ce qu'elles transmettent, échelonné sur de vastes laps de temps, sont peu ou prou l'écho de l'histoire du jeu et posent la même question : que restera-t-il de tout cela ? Et comme si cela ne suffisait pas, la fin de l'histoire est telle qu'elle devrait être (attention, spoilers droit devant). Une fois le boss final vaincu (sans même prendre en compte la déception qu'il engendre étant donné son invraisemblable facilité si l'on est armé de potions de Destin), on sait immédiatement à quoi s'en tenir : le héros et ses actes tomberont rapidement dans l'oubli. Pas qu'il n'ait que peu de mérite - il a tout de même libéré le monde dans la même foulée d'un dieu sanguinaire et de l'emprise du Destin. Mais il taira tout de ce qui s'est passé en Alabastra. Ce qui restera de cette geste - dans un PREMIER temps ? Les Tuathas sont venus, ont failli conquérir le monde et, soudainement, se sont repliés, ont perdu le feu sacré. Et là où ce constat sert de base à l'intégralité d'un Babylon 5, ici ce n'est pas un début dont il s'agit, mais une fin.

Mais revenons-en à nos moutons. Ce qu'il manque au CRPG pourrait bien se trouver quelque part entre ces lignes : des destins sans doute inintéressants, partiellement glorifiés, et aussitôt retombés dans l'oubli. Ce n'est probablement qu'une idée ridicule, mais ne serait-il pas intéressant, et rafraîchissant pour le genre, de changer d'idée, et de rendre au MONDE la place qui lui appartient : celle de véritable héros de l'histoire ?

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